Project, Nasser
Nasser 2015
La vidéo est brève. Un homme, face caméra, en plan rapproché taille, lit difficilement le procès-verbal de son propre jugement prononcé par un tribunal pénal. Mohamed Bourouissa filme son oncle, Nasser. Il se tient presque dans l’encadrement de la porte d’entrée, à la gauche de laquelle se trouve une table recouverte d’une nappe dont chaque rayure incarne une nuance différente de vert. Sur celle-ci sont posés des cahiers et classeurs. Au-dessus, un téléviseur accroché à même le mur dépasse du cadre. La pièce est petite, sans doute la chambre d’un foyer.
Avec sa lecture hésitante, qui laisse entrevoir le quotidien éprouvant de personnes primo arrivantes tentant tant bien que mal de déchiffrer les multiples indications qui sont autant d’obstacles à contourner, Nasser propose une traduction sensible de ce langage du droit ou plutôt de ces langages, tant chaque discours met en œuvre un jargon juridique particulier – la spécificité peut venir du lexique, de la syntaxe ou de la sémantique, quel que soit l’interlocuteur. Par la répétition de ses hésitations, en buttant sur chaque mot ou presque, il induit un grain de sable dans la mécanique huilée de la langue officielle, celle, indélébile, qui ordonne, qui condamne, certifie la légalité de la vie dans la cité. Cette écriture standardisée, à l’origine utilitaire, dénuée de littérature, se teinte ici d’humanité à la faveur du fragile déchiffrage auquel s’applique l’homme. Focalisé sur sa lecture éprouvante, il semble faire abstraction du sens même des mots qu’il prononce, « vol … violence… prison… ». Ces sentences terribles ne sont plus ici que des successions de syllabes, de sons, articulés, balbutiés, détachés, pour former cette langue qui n’est pas la sienne. La performance s’éloigne de la froideur administrative du texte législatif pour lui insuffler un peu de vie, une immédiateté que vient accentuer l’entrée inopinée dans la pièce et le champ de vision de la caméra d’une femme de la famille venue lui remettre la boite de gommes tabagiques prescrite par le médecin. La courte interruption suscite sur le champ un commentaire de réprimande en arabe de la part de Nasser, réclamant une nouvelle prise à l’artiste placé dans le hors champ derrière la caméra, en vain. La condamnation est lourde, quatre mois de prison. Le motif, vol avec violence, pointe une délinquance de classe sociale qui relève aussi d'une marginalité raciale. La banalité du quotidien s’invite dans les langages juridiques. Officiels, systémiques, garants de la légalité et de la nation, ils trouvent dans l’exercice poignant auquel se livre Nasser leur traduction poétique.
Guillaume Lasserre
Nasser, video color and sound, 4’30’’ © Mohamed Bourouissa ADAGP
Shown at :
• HARa!!!!!!hAaaRAAAAA!!!!!hHAaA!!!, Goldsmiths CCA (UK), 2021
• Parisa Kind gallery, Frankfurt (DE), 2020
• Libre-échange , Les Rencontres d’Arles, Arles (FR) 2019
Exhibition view of Nasser, Goldsmiths CCA, 2021 © Mohamed Bourouissa ADAGP. Photographs: Mark Blower.